Voitures de fonction : pourquoi les entreprises françaises peinent à verdir leurs parcs

Publié le 30 avril 2024 à 13h54

Source : JT 20h Semaine

Depuis 2019, une loi oblige les grandes entreprises à intégrer un quota minimal de voitures à faibles émissions dans leur parc.
Mais deux tiers d'entre elles ne sont pas dans les clous.
Un texte prévoyant des sanctions est débattu mardi à l'Assemblée nationale, mais ne devrait pas être adopté en l'état.

Les 3500 entreprises qui gèrent un parc automobile de plus de 100 véhicules de fonction doivent, depuis 2019, respecter un quota de véhicules à faibles émissions quand elles renouvellent leur flotte. Un dispositif qui avait trois objectifs : accélérer la décarbonation du secteur des transports, augmenter le nombre de voitures électriques en circulation et donc alimenter un marché d'occasion et enfin anticiper l'interdiction à la vente des véhicules thermiques neufs en 2035.

Problème : cette loi n'est pas respectée. Selon une étude menée par l'ONG Transport & Environnement, 60% des entreprises visées par cette loi ne respectait pas ces quotas, fixés à 10% de leur parc renouvelé en 2022 et 2023. Pour la faire appliquer, le député de Seine-Maritime Damien Adam (Renaissance) a donc déposé une proposition de loi imposant des sanctions en cas de non-respect des quotas.

5000 à 2000 euros par véhicule manquant en 2025

Mais ce texte, inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale mardi, a peu de chance de passer : son examen est prévu en début de soirée et 326 amendements ont été déposés. 

Il devrait donc être reprogrammé, a priori en juin, après les élections européennes. Car ce texte divise la majorité. Et il a d'ailleurs été assoupli lors de son passage en commission : la trajectoire de verdissement a notamment été décalée d'un an (20% de véhicules à très faibles émissions en 2025 plutôt qu'en 2024, puis 30% en 2026 et 90% en 2032), et les sanctions atténuées (de 5000 à 2000 euros par véhicule manquant en 2025, avant d'augmenter).

Les entreprises de location de courte durée, qui dénonçaient un rythme trop soutenu pour elles, ont également obtenu une trajectoire plus souple ; et les plateformes de VTC et de taxis seront, elles, traitées dans un décret à part. Parmi les autres amendements déposés, certains demandent d'intégrer d'autres technologies que les seules voitures électriques, comme 

 les hybrides rechargeables ou les agrocarburants.

Je ne peux pas croire qu'il y ait 2000 entreprises voyous sur les 3500 concernées
Bruno Millienne, député MoDem

Mais cela n'a pas suffi à convaincre les sceptiques. "Nous faisons le constat que la loi de 2019 n'est pas appliquée et la seule réponse, c'est un durcissement ? Comme si cela allait résoudre le problème", commente ainsi le député des Yvelines Bruno Millienne (MoDem). L'élu plaide pour le déploiement d'une mission parlementaire afin d'identifier les causes de blocage. "Je ne peux pas croire qu'il y ait 2000 entreprises voyous sur les 3500 concernées, avance-t-il. Il faut comprendre les raisons objectives qui font qu'elles n'y arrivent pas."

Parmi les arguments avancés par certains : le manque de modèles à faibles émissions disponibles, le coût d'une telle transformation, le faible maillage territorial en matière de bornes de recharge. Mais il y a d'autres raisons, moins affichées. "Dans la plupart des grandes entreprises, ceux qui possèdent des voitures de fonction s'en servent pour leurs déplacements privés le week-end ou pour voyager et ne souhaitent pas passer à l'électrique", souligne ainsi un expert du secteur.

Près de 6 voitures neuves sur 10

"Les Français veulent que ceux qui ont le plus fassent plus", plaide pour sa part Damien Adam auprès de l'AFP, voyant son texte comme permettant de donner un signal de longue durée aux entreprises. Certes, ces entreprises "ne concernent que 0,1 % des entreprises hexagonales, mais l’influence de ces dernières sur l’évolution du marché est considérable, lit-on dans le rapport de l'ONG Transport et Environnement. Chaque année, ces grands groupes immatriculent près de 6 véhicules légers neufs sur 10."

"Les entreprises doivent prendre leur part dans la transition énergétique, défend Clément Molizon, délégué général de l'Association nationale pour le développement de la mobilité électrique (Avere-France). Elles y gagneront financièrement (…) et elles permettront aux classes moyennes et populaires d'accéder à des véhicules de seconde main moins chers et plus rapidement."

Le gouvernement soutient la proposition de loi du bout des lèvres
Un expert

Officiellement, le gouvernement soutient le texte : difficile, en effet, de ne pas défendre l'électrification du parc automobile français qui doit contribuer aux objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre de la France. "Le gouvernement soutiendra le texte ainsi que, au cas par cas, les amendements qui viseront à tenir compte de la situation de certains secteurs soumis à des contraintes particulières", précise toutefois le cabinet du ministre des Transports, Patrice Vergriete. Une posture qui permet de répondre aux inquiétudes de certains. "Le gouvernement soutient la proposition de loi du bout des lèvres, regrette un acteur de l'électrique. La preuve, aucune action n'a semble-t-il été prise pour aligner la majorité."

Selon certaines sources, des grandes entreprises auraient fait pression sur le gouvernement pour diminuer la portée de ce texte, arguant que s'il était adopté en l'état, elles remplaceraient les flottes de voitures de fonction par des frais de remboursement sur des véhicules personnels, sur lesquels ne porte pas d'obligation de faibles émissions.

La France a une spécificité en la matière : selon les données 2023 de l'ONG Transport & Environnement, seuls 8% des véhicules neufs immatriculés par les grands groupes assujettis à la loi étaient électriques, soit presque trois fois moins que les ménages (22%).

La tendance n'est pas la même chez nos voisins. En Belgique, où les véhicules de fonction sont plus nombreux, des incitations fiscales doivent ainsi permettre d'atteindre l'électrification du parc dès 2026. 

L'Hexagone compte toutefois quelques bons élèves, dans les clous du dispositif prévu par la loi de 2019 : 40% de voitures électriques parmi les voitures immatriculées en 2023 chez EDF, 46% à La Poste.  


Marianne ENAULT

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