#SaccageParis : l'extrême droite se trouve-t-elle vraiment derrière ce mot-dièse ?

Felicia Sideris & Samira El Gadir
Publié le 13 avril 2021 à 11h59, mis à jour le 13 avril 2021 à 13h56

Source : JT 20h WE

DÉSINFORMATION - Anne Hidalgo a assuré ce jeudi que l'extrême droite était à la manœuvre derrière le #SaccageParis qui pullule sur les réseaux sociaux pour dénoncer la saleté de la capitale. Mais qui est réellement à l'origine de cette campagne ?

Le mot-dièse est sans ambiguïté. Et a servi de défouloir pendant des semaines aux Parisiens mécontents de la politique d'Anne Hidalgo. Avec le #SaccageParis, les témoignages se sont multipliés sur les réseaux sociaux pour décrier la propreté de la capitale. Accompagné de photos de détritus amoncelés sur les trottoirs, de chantiers inachevés ou de jardinières transformées en cendriers, il s'est retrouvé à plusieurs reprises dans les sujets les plus discutés sur Twitter. Si bien que la maire de la ville s'est vue obligée de réagir, jeudi 9 avril. Si elle reconnaît l'importance de la problématique, l'élue socialiste a vu dans cette campagne une manipulation de l'extrême droite. Pourtant, aucun indice ne laisse penser que c'est cette partie-là de l'échiquier politique qui est à l'origine de cette campagne de dénigrement.

Un citoyen "progressiste modéré" à l'origine du hashtag

La maire a dénoncé sur RTL une "campagne très orchestrée". Évoquant la "Trumpisation de la vie politique",  y compris en France, Anne Hidalgo a expliqué avoir remonté les publications qui utilisaient ce mot-clé. Une recherche lors de laquelle elle a trouvé "beaucoup de proximité avec l'extrême droite". Nous avons fait de même. Sans parvenir au même résultat. Via la recherche avancée disponible sur le réseau social, nous sommes remontés jusqu'à la première publication. Mise en ligne le 21 mars dernier par un certain @PanamePropre, elle mettait en avant le "saccage en cours du sublime Parc Monceau". Nous avons donc interrogé son auteur. Cadre de 53 ans dans le privé, il souhaite garder l'anonymat. S'il se dit "progressiste modéré", il n'est encarté dans aucun parti. Et surtout, il s'oppose très clairement aux extrêmes. 

Et qu'en est-il des personnalités qui ont donné de la visibilité à cette campagne ? En tout, jusqu'à jeudi, 192.025 publications comprenaient ce mot-dièse. Elles ont comptabilisé 337,4 millions de vues, d'après les données de Visibrain, arrêtées au jeudi 9 avril. Pour Les Vérificateurs, l'entreprise qui propose un outil de veille des réseaux sociaux a résumé l'ampleur de la campagne. Parmi les quelque 21.700 internautes qui ont partagé le #SaccageParis, celui à l'origine du tweet arrive en première place. Viennent ensuite des profils anonymes comme celui de "Catsy18", qui comptabilise 137 messages en une semaine. Elle se dit "libérale" et "proche de la droite parisienne". À en croire les biographies des autres comptes arrivés sur le podium, il s'agit essentiellement de citoyens militants qui s'opposent très clairement à la politique de gauche dans la capitale. 

Données sur l'ampleur du hashtag #SaccageParis arrêtées au jeudi 9 avril 2021
Données sur l'ampleur du hashtag #SaccageParis arrêtées au jeudi 9 avril 2021 - Visibrain / Les Vérificateurs

Cependant, deux personnalités politiques ont bien donné un écho au mot-dièse. Né le 29 mars, il n'a réellement décollé qu'au 3 avril, comme le montre la courbe ci-dessus. Lorsque Marine Le Pen et Pierre Liscia se sont emparés du sujet. La première, présidente du parti d'extrême droite, apporte 2,6 millions de vues au #SaccageParis avec sa publication sur "la dégradation de notre si belle capitale". Un score finalement peu élevé pour la cheffe de fil du Rassemblement national (RN). "Sa publication arrive en 6e position des plus partagées alors qu'elle a deux millions d'abonnés", note ainsi auprès de LCI.fr Fabrice Epelboin, spécialiste des médias sociaux. Un score dérisoire par rapport à celui de Pierre Liscia. Avec ses 30.000 followers, deux de ses publications sont dans le Top 5. Ex-conseiller municipal dans le 19e arrondissement, bien connu des sphères influentes dans la capitale, il est le deuxième compte le plus actif dans cette campagne. Anne Hidalgo elle-même a noté jeudi la présence de cet ancien candidat aux municipales de Paris, où il a fait "3,47% à l'élection au premier tour dans le 18e arrondissement". Mais lui n'est pas davantage affilié à l'extrême droite. Il s'était présenté sous les couleurs du mouvement "Libres !" de Valérie Pecresse (ex-LR).

Suffisant pour que ce candidat malheureux soit à l'origine du succès du hashtag ? La maire de Paris en a évoqué la possibilité, en soulignant le rôle de "l'astroturfing" dans cette campagne, qui aurait permis de manipuler l'opinion publique, appelant à "décrypter l'information". Mais là encore, il semblerait que l'édile fasse fausse route.

Pas de parti politique derrière le #SaccageParis

Une pratique prisée aux États-Unis qui demeure "très floue", selon Fabrice Epelboin. Il s'agit en gros d'un stratagème de désinformation qui consiste à donner l'impression que des mouvements spontanés et citoyens se créent quand il s'agit en réalité d'une action orchestrée et coordonnée par des entreprises ou des partis politiques. Or, auprès de LCI.fr, ce chercheur et entrepreneur estime que s'il y a bien un caractère "coordonné" à l'opération, il lui manque un vernis politique. En l'espèce, assure le spécialiste, on a bien à faire "à un petit groupe de militants qui n'est pas lié à un parti".

 "Ce sont des gens qui vivent à Paris, très politisés et pas du tout en accord avec la politique d'Anne Hidalgo qui se sont coordonnées pour en parler" résume-t-il, faisant une comparaison avec une "manifestation en ligne". Pour cet expert, il y a donc bien un aspect purement citoyen. Il l'assure, si Pierre Liscia est effectivement une personnalité politique de l'opposition influente sur les réseaux sociaux, il n'est pas à l'initiative de cette mobilisation. "Il est arrivé tardivement, au moment où le buzz était déjà là, et il a surfé dessus", résume Fabrice Epelboin. 

Pour ce dernier, aucun parti politique français n'a actuellement la maitrise des réseaux sociaux nécessaire pour lancer une telle campagne. "Ici, on est face à quelque chose de ludique, qui est propre à la dynamique sur les réseaux sociaux, c'est très bien pensé." Le succès est tel que ces citoyens "ont fait évoluer des lignes que Pierre Liscia était incapable de faire bouger pendant des années". 

On a donc à faire à une action militante, citoyenne, récupérée par l'opposition de droite. Avec très peu d'influence de l'extrême droite, mise à part le tweet de Marine Le Pen. Pour Fabrice Epelboin, cet argument lancé par Anne Hidalgo est simplement une "bonne excuse" pour "tenter maladroitement de noyer le poisson".  D'ailleurs, ce courant politique n'aurait aucun intérêt à piloter ce type d'action. Pour deux raisons. Premièrement, l'essence même du #SaccageParis. "La mécanique du buzz demandait, par essence, à ce qu'on soit Parisien puisqu'il fallait prendre une photo du Paris 'saccagé'." Or, ce parti n'est pas particulièrement ancré dans la capitale. C'est ainsi qu'on arrive à la deuxième raison pour laquelle le RN n'aurait pas d'intérêt dans cette campagne : ce n'est pas un terrain qui l'intéresse. Le parti d'extrême droite "ne pèse rien à Paris", où il a réalisé un score d'à peine 1,5% aux dernières municipales. Au point que bon nombre de ténors de l'extrême droite, Jean-Marie Le Pen au premier rang, avaient alors appelé à voter Rachida Dati. L'extrême droite, en tout cas son incarnation partisane, n'a donc pas grand-chose à voir avec #SaccageParis. 

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