À l'approche du deuxième anniversaire de l'invasion russe, le 24 février 2022, le football ukrainien continue de se battre pour exister.
Déracinés, les clubs qui n'ont pas disparu du fait de la guerre survivent dans des conditions spartiates, à huis clos et entre deux alertes aériennes.
Alors que les supporters vont pouvoir être en nombre limité à revenir dans les stades, Sergey Palkin, directeur général du Shakhtar Donetsk, en exil forcé depuis 2014, témoigne auprès de TF1info.

Le football plus fort que la guerre. Près de deux ans jour pour jour après le début de l'invasion russe, le 24 février 2022, le ballon roule toujours sur les pelouses d'Ukraine. Mis en pause pendant cinq mois, d'avril à août 2022, le championnat ukrainien, qui a essuyé des pertes, avec notamment la disparition du FC Mariupol, localisé dans la ville martyre tombée sous les bombes de Vladimir Poutine, s'est depuis relevé. Une reprise sous très haute sécurité, à huis clos, avec des clubs en exil, contraints de voyager par la route, l'espace aérien étant entièrement bouclé.

Quand bien même l'amour du jeu prend le dessus, le risque zéro n'existe pas. Même loin du front, la guerre rappelle qu'elle n'est jamais loin. Il n'est ainsi pas rare de voir une rencontre interrompue par les alertes aériennes, signalant des bombardements en cours ou à venir. En novembre dernier, Dnipro, grande ville du centre-est de l'Ukraine, pilonnée par les Russes, a ainsi accueilli le plus long match de l'histoire de Premier Liha : "environ 280 minutes" au lieu des 90 habituelles. Alors que le coup d'envoi a été donné à 17h, heure locale, la fin de la partie n'a été sifflée qu'un peu avant 22h, soit près de... cinq heures plus tard.

Exil forcé

Malgré la guerre et les complications qu'elle engendre, le football ukrainien fait acte de résistance. En exil forcé depuis 2014, date à laquelle le conflit du Donbass a éclaté, le Shakhtar Donetsk incarne cette Ukraine qui n'abdique pas. En dépit d'un quotidien "fatigant et épuisant", à Lviv, à 1200 kilomètres de leur ville d'origine, les "Mineurs" - le surnom de l'équipe - se donnent à 100% pour donner du baume au cœur à leurs fans et aux soldats qui se battent sur la ligne de front. Entre deux matchs, et les centaines de kilomètres qui les séparent, leur directeur général, Sergey Palkin, a accepté de raconter à TF1info la vie du club en temps de guerre.

Sergey Palkin office en tant que directeur général du Shakhtar.
Sergey Palkin office en tant que directeur général du Shakhtar. - SHAKHTAR DONETSK

Vous avez quitté la Donbass Arena en 2014 à cause de la guerre. Depuis vous continuez à jouer au football du mieux que vous pouvez, malgré des protocoles très stricts. Comment gérez-vous le quotidien en équipe ?

Sergey Palkin : Tout d'abord, le football est notre vie, c'est ce que nous savons et ce que nous aimons faire. Malgré toutes les épreuves, nous nous réveillons chaque matin et nous concentrons sur nos tâches. Nous réfléchissons à la meilleure manière de préparer le prochain match. Derrière nous se trouve le président du club, Rinat Akhmetov (un oligarque ukrainien, considéré comme l'homme le plus riche d'Ukraine, ndlr). Son énorme soutien est difficile à sous-estimer. Et puis, il y a nos supporters, nos fans. On sent leur soutien. Nous jouons pour eux. Durant toutes ces années loin de notre ville d'origine, nous nous sommes habitués à faire face aux difficultés. Maintenant nous pouvons jouer partout, "au-delà des frontières" comme le dit l'essence de notre marque.

La situation est-elle encore plus compliquée depuis l'extension de la guerre à l'ensemble de l'Ukraine ?

Depuis le 24 février 2022 (le jour marquant le début de l'invasion russe, ndlr), la vie est devenue extrêmement difficile pour tous les Ukrainiens. La guerre a complètement changé nos vies. Je comprends aussi qu'elle a désormais un impact sur de très nombreuses personnes en Europe et bien au-delà. La guerre est la pire chose qui puisse arriver à l'Humanité et malheureusement nous la vivons.

Parfois, nous passons des journées entières sur la route
Sergey Palkin, directeur général du Shakhtar Donetsk

Votre équipe vit d'hôtel en hôtel, sans que vous puissiez rentrer chez vous. Un quotidien à la fois loin de vos proches mais à proximité des bombes. Dans quel état d'esprit êtes-vous après deux ans de guerre ?

Notre vie a perdu de nombreuses couleurs vives. Nous, nos familles, nos enfants vivons constamment sous un flux constant de nouvelles négatives et dévastatrices. Les frappes aériennes, les bombardements, les meurtres, le chagrin, les pertes, tout cela est tout autour de nous, fait partie de notre quotidien. C'est extrêmement dur et loin d'être normal.

Ce conflit fait-il partie intégrante de la vie du vestiaire ?

Oui, malheureusement. Le seul moment où vous pouvez distraire votre esprit de ce qui se passe, c'est pendant 90 minutes que dure un match. À condition, bien sûr, que les sirènes annonçant un raid aérien ne retentissent pas.

Après Varsovie la saison passée, vous disputez vos matchs européens "à domicile" à Hambourg, en Allemagne, à plus de 2300 kilomètres de Donetsk. Qu'est-ce que cela implique en termes d'organisation ?

Beaucoup de planification et de patience. Parfois, nous passons des journées entières sur la route pour jouer notre prochain match. C'est incroyablement fatigant et épuisant.

Le Shakhtar reviendra dans le Donetsk ukrainien
Sergey Palkin, directeur général du Shakhtar Donetsk

Vous venez à peine d'être autorisé à accueillir du public, selon des jauges définies, après deux années à huis clos. Comment entretenez-vous le lien avec vos fans ?

Le football est l'une de ces activités étonnantes qui rassemblent des millions de personnes. Nous pouvons jouer de nombreux matchs sans supporters en Ukraine, mais lorsque nous jouons en Europe, les supporters sont là, ils sont de retour. Cela nous rend heureux et confiants de pouvoir un jour revenir à une vie normale.

Prévoyez-vous de revenir vous installer à Donetsk, une fois la guerre sera finie et loin derrière vous ?

Sans aucun doute, avec une précision majeure : nous reviendrons dans le Donetsk ukrainien. Et nous jouerons à nouveau des matchs de football européens, comme nous l'avions fait contre l'Olympique de Marseille en 2009.


Yohan ROBLIN

Tout
TF1 Info