Verif'

"MH370 : l’avion disparu" : pourquoi le documentaire Netflix fait débat

Publié le 17 mars 2023 à 17h24, mis à jour le 18 mars 2023 à 10h44

Source : Sujet TF1 Info

Une série documentaire sortie sur Netflix propose de reconstituer la disparition du vol de la Malaysia Airlines, en 2014.
Mais le récit met en avant des théories alternatives au mépris d’un regard factuel et scientifique, selon les experts.

Comment un Boeing 777, transportant 239 personnes à son bord, peut-il disparaitre sans quasiment laisser de traces ? C’est ce à quoi une production Netflix a tenté de répondre, neuf ans après le drame du vol MH370 de Malaysia Airlines et de ses passagers volatilisés, dans un documentaire mis en ligne le 8 mars dernier.

"Cette série-docu permet de perpétuer la mémoire des victimes de l'un des grands mystères non résolus de notre époque et de continuer à exiger des réponses", communique Netflix le jour de la sortie. Dix jours plus tard, le documentaire se retrouve même dans le top 10 des séries les plus regardées de la plateforme en France. Mais des approximations et des choix hasardeux sont pointés du doigt par des professionnels de l’aérien, qui jugent ce travail peu sérieux. 

Revenons sur les faits. Le 8 mars 2014, le vol reliant Kuala Lumpur à Pékin disparait des écrans radars cinquante minutes après son décollage, au moment d’entrer dans l’espace aérien du Vietnam. Les moyens de communication ont été coupés. Il est constaté quelques jours plus tard, grâce aux données satellites, que l’avion aurait changé de cap au-dessus de l’océan Indien puis continué à voler plusieurs heures. Si un radar militaire l’a suivi après qu’il a cessé d’émettre, sa trace se perd définitivement au nord-ouest de l’île de Penang, dans le détroit de Malacca. 

Les passagers sont déclarés morts par les autorités malaisiennes le 24 mars 2014 et malgré quatre ans de recherches, ils ne seront jamais retrouvés. En 2015 et 2016, des débris sont découverts dans l’océan Indien, échoués par exemple sur une plage de l’île de la Réunion, et sont identifiés comme appartenant au Boeing 777. Aucune théorie n’est privilégiée aujourd’hui. Selon le rapport des autorités malaisiennes de 2018, seules deux thèses ne sont pas à exclure : un détournement de l’avion par quelqu’un présent à bord ou une série d’incidents ayant provoqué le crash. Celle d'un suicide du pilote, longtemps favorisée, est écartée.

Des erreurs et des faits passés sous silence

Le documentaire, lui, se découpe en trois parties d’une heure, chacune étant consacrée à une théorie : l’attentat suicide du pilote, la présence à bord de pirates russes et le détournement par des avions américains. Des thèses détaillées ici par le New York Post. Les deux premières sont développées par le journaliste américain Jeff Wise, la troisième par sa consœur française Florence de Changy. "Ce qui me choque dans ce documentaire, c’est le parti pris donné à deux journalistes dont les théories sont parfaitement démontables", critique Gilles Diharce, ancien contrôleur aérien militaire, dans une vidéo YouTube en réaction à la sortie du documentaire. "Aucune de ces théories n’est abordée sous l’angle technique. C’est un florilège de démonstrations complotistes avec en prime une déformation des faits."

Dans ces épisodes, plusieurs erreurs factuelles ont également été repérées par des internautes. En effet, l’île de la Réunion ne se situe pas au nord de Madagascar, comme illustré par Netflix, mais à plus de 600 kilomètres à l’est. Ensuite, l’aéroport apparaissant à l’écran à la dixième minute et censé représenter celui de Pékin… se trouve en fait au Luxembourg. La confusion a d’ailleurs fait l’objet d’un article de L’Essentiel, le quotidien luxembourgeois.

Grace Subathirai Nathan, fille d'une passagère du vol MH370, montre un débris supposé provenir du vol MH370 lors d'une conférence de presse à Putrajaya, en Malaisie, le 30 novembre 2018.
Grace Subathirai Nathan, fille d'une passagère du vol MH370, montre un débris supposé provenir du vol MH370 lors d'une conférence de presse à Putrajaya, en Malaisie, le 30 novembre 2018. - Mohd RASFAN / AFP

Des faits sont ensuite passés sous silence, grince Xavier Tytelman, expert aéronautique et ancien aviateur militaire, interrogé par TF1info. "Ce qu’ils ne disent pas, c’est que le téléphone du pilote va borner sur la zone Nord-Est sur la presqu’île de Penang. Tous les scénarios qui disent qu’il a été abattu en mer de Chine sont faux." Le spécialiste, qui a consacré plusieurs billets de blog à l’affaire, a recensé tous les reproches faits au documentaire dans un fil Twitter très relayé.

Selon lui, le travail fourni ici met en valeur "des choses scientifiquement impossibles" dans cette affaire. "Ils se sont limités aux scénarios hollywoodiens en les présentant comme aussi crédibles que la science. Il n’y a pas le moindre travail de fact-checking de la part de l’équipe Netflix." Autre problème pour Xavier Tytelman : aucun professionnel de l’aérien n’est interrogé au cours de ces trois heures d’enquête, si ce n’est un spécialiste américain, Mike Exner, mais seulement pour contrer les hypothèses les plus farfelues. 

Un récit qui reprend les codes du complotisme

Les autres intervenants sont des proches des victimes, des journalistes ayant travaillé sur l’affaire, comme l’Américain Jeff Wise ou la Française Florence de Changy, et des chercheurs "bénévoles" d’informations sur le vol MH370. Ces deux dernières catégories font alors office d’experts pour toute la durée du documentaire et Jeff Wise, qui défend pourtant une thèse controversée, en est même un fil rouge. Aucune voix off n’intervient ici, seuls les intervenants se contredisent entre eux. Leur point commun ? Tous, quasiment, rejettent le rapport officiel des autorités malaisiennes.

Pour Marie Peltier, historienne et spécialiste du discours conspirationniste, ce documentaire reprend des codes du complotisme "dans la mesure où cela postule qu’on nous 'cache' des choses pour la préservation d’intérêts particuliers (américains ou autres). Par ailleurs, on voit bien l’attention portée aux 'détails techniques' pour corroborer sa thèse de départ, une mécanique caractéristique des récits complotistes". 

Ce genre d’affaire non résolue est propice à l’émergence de théories alternatives puisqu’elle laisse libre cours aux imaginations les plus débordantes. Mais "l’absence de preuves n’est pas la seule raison de leur émergence", souligne la chercheuse Aurore Van de Winkel dans la revue Cairn en 2016. "Lors d’autres accidents aériens, comme ceux du 11 septembre ou des vols 9525 de Germanwings et MH17 de la Malaysia Airlines, la thèse officielle fut également remise en question, malgré la découverte et l’analyse des boîtes noires, des appareils et des corps". 

Selon cette spécialiste des légendes urbaines, plusieurs éléments ont pu favoriser le complotisme dans cette affaire, comme le fait que la disparition d’un avion soit "rarissime" et qu’une explication doit être trouvée à tout prix. Le contexte dans lequel l’accident est survenu est aussi à prendre en compte : "Comment, dans ce monde ultra-technologique, un avion et ses passagers pourraient-ils disparaître ?" L’enquête française, elle, suit toujours son cours après avoir été relancée en 2018.

Vous souhaitez nous poser des questions ou nous soumettre une information qui ne vous paraît pas fiable ? N'hésitez pas à nous écrire à l'adresse lesverificateurs@tf1.fr. Retrouvez-nous également sur Twitter : notre équipe y est présente derrière le compte @verif_TF1LCI.


Caroline QUEVRAIN

Tout
TF1 Info